Les grands incendies de 1936 à 1949
La forêt landaise a subi tout au long de son histoire de nombreux incendies, mais à partir de 1936 et jusqu’en 1949, elle connaît une vague particulièrement dévastatrice.
Des 850 000 ha de pins qui préexistaient, près de 350 000 vont disparaître : 100 000 ha en 1943 et plus de 140 000 ha en 1949, de loin l’année la plus sombre. Environ 500 incendies vont se déclarer au mois d’Août cette année-là faisant 82 victimes dans le département.
Ces drames sont le produit de plusieurs facteurs. D’une part, les troupeaux de moutons sont moins nombreux, donc le « débroussaillage naturel » n’est plus assuré (fougères et ajoncs se propagent). D’autre part, les nouveaux arrivants (soldats des troupes d’occupation à partir de 1940, bûcherons espagnols à partir de 1936) méconnaissent les risques, et donc négligent les mesures de prévention. Enfin et surtout, la sécheresse sévit plusieurs années consécutives.
Nos aînés témoignent :
On se souvient de celui où « le vent avait soulevé le parc, et tout le chapeau avait été emporté sur 50m, il était en paille »,« un toit de chaume ». Il y a eu celui « de 43, quand on a eu la palombière touchée, au quartier Capsus, c’était parti de Bellevue, Lapeyrade, et l’après-midi, vers une heure, une heure et demie, on a commencé à voir la fumée. On a commencé à dire : « ce soir,si on ne l’arrête pas, il arrive ici » ; « c’est le dernier qu’on a vu, celui qui est passé, l’année où j’avais déménagé depuis Bourriot,celui qui est arrivé au ruisseau de Saint-Médard », « qui est passé à côté de la maison ». Bien sûr, on a connu ceux « de 44, 45,les allemands : c’est eux qui mettaient le feu pour déloger les maquisards ». Enfin, celui qu’on avait presque dominé : « on avait le camion, ça s’allumait surtout autour en haut dans les maisons, en dessous, ça s’allumait avec la chaleur, les solives, et en arrosant comme ça, on l’a sauvée, je m’en rappellerai toujours, mais la maison ne s’est pas brûlée, on a sauvé la maison ».
« Avant la sécheresse », les dégâts étaient souvent limités, il ne prenait « pas beaucoup, 2 ou 3 ha » ; mais dans les années 40, quand « il est parti de Lapeyrade ou par là, il s’est arrêté à Parleboscq », « ça faisait 3 ou 4 km de large, et de long, ça fait depuis Roquefort jusqu’à Estigarde, où je sais pas où, là où il avait pris », « c’est de l’ordre de 30 km ». Evidemment, on peut avoir « un feu d’orage, ça part vite », « ça consomme », « mais quand il y a de l’orage, il y a de l’humidité ». Malgré tout, on n’oublie pas, et on peut les énumérer, ils sont tous rattachés à des souvenirs personnels : « on était à la batteuse, tout le monde est
parti éteindre le feu » ; « on revenait de réveillon avec Gilbert, sur la route, un éclair, et un pet ! On avait bu du champagne, c’était la première fois qu’on buvait du champagne ; on avait fait un chantier, il y avait un peu de pognon de reste, ils ont amené une caisse de champagne, et après le champagne, il n’y en avait plus et on rentrait … et l’orage est tombé presque là, c’était le
réveillon, le 25 décembre », « en 45 ou 46 ».
Et puis « en 49 », même si « Saint-Gor n’a jamais été touché », impossible d’occulter les incendies de cette année-là, qui ont traversé tout le département, et marqué toutes les mémoires. « Le jour du 15 août, j’étais au théâtre à Roquefort, le théâtre a été interrompu, ils ont sonné le tocsin, parce que le feu arrivait sur les Landes de Bourriot-Bergonce, il y avait des maisons brûlées, quand on est arrivé ici, avec mon frère et mes deux soeurs, je pense vraiment, c’était comme si c’était en plein jour, on voyait la lueur, à l’époque, j’avais 14 ans, « moi je ne rentre pas ! » j’ai dit, on allait vers le feu, ils m’ont laissé chez mon parrain
qui habitait à l’Estélot, j’ai dormi là, je ne suis pas rentré chez moi ». A Vialotte, on aurait « pu lire le journal à côté de la maison, quand la gare a brûlé, la nuit », « avec la lueur ». Il est allé « depuis la gare, jusqu’à l’entrée de Maillas », « 15 km ». Et il a fait beaucoup de dégâts, tu avais des pignes qui allaient t’allumer des feux à 100 ou 150m … loin », « tu vois les maisons qui s’allument, par-dessous », « té ici ! ». On a eu peur, très peur : « je ne sais pas si ça s’est fait partout, mais chez moi, sur l’airial derrière la maison, c’est du sable, ils avaient fait un énorme trou, enfin, je le voyais énorme, ils y avaient mis tout le linge de la maison, dans ce trou. Ca s’est fait quand on voyait la fumée qui arrivait, c’était pour le sauver. Ils avaient mis un drap par-dessus, et ils avaient recouvert de sable, ça faisait comme un monticule ». Il faut prévoir avec les moyens que l’on a : « avec mon beau-père, on a attelé la jument, on est parti remplir deux barriques d’eau au moulin, à Vialotte, au ruisseau », à plus d’un 1 km, « et à coup de pompe à main », « avec l’arrosoir », « pour les ramener à la maison », « au cas où ».
Mais à Bourriot, « il y a eu 7 maisons brûlées », « là les gens, ils n’ont pas eu le temps d’arroser, c’était très vite. » Et après, « ça a duré plus d’une semaine ». Alors, même si on est épargné, on va aider les villages autour, « évidemment ».
Jusque là, on avait bien « des pare-feu entretenus par la commune », plus précisément par les habitants de la commune : « on donnait une journée ou deux par famille, par an », « c’était les femmes qui faisaient ça », « on avait un daillot ». Mais, ces pare-feu ont des limites, ils servent « pour les petits incendies », « parce que pour les grands, pare-feu ou pas pare-feu, là ... ».
La vigilance est un devoir : « dans chaque maison, il y avait du monde, on voyait la fumée, (et les pins, c’était le gagnepain), donc, quand il y avait un feu, on alertait de suite ». « Le premier qui sait, il va à la mairie, « il faut sonner le tocsin ! », « à la mairie de l’époque, il y avait toujours quelqu’un, le secrétaire... ». Alors, quand « le tocsin sonnait », « ils partaient en vélo », « il y avait peut-être deux voitures, ou trois : Bétuing, Tastet … les deux Tastet et Lapeyre ». Quelquefois, si nécessaire, « le cantonnier montait au clocher, pour identifier la position, « mais il n’y restait pas la journée » ». Le feu, il faut souvent y partir « sur le coup de midi », « ou à deux heures, quand la fumée commençait à paraître, ce n’était pas le matin, c’était au plus chaud ». Et là, on a besoin de « tous, tout le personnel valide », il n’y avait pas de pompiers, « c’était que des volontaires », « pour lutter contre l’incendie, il n’ya pas de limites, tous les gens disponibles » doivent partir au feu, y compris le curé comme à Saint-Martin, (celui de Saint-Gor n’y allait pas, mais « il priait », « tous les jours », « on le voyait là, toujours, il tournait avec son bréviaire chez lui... »). Lutter, s’organiser avec une priorité : « sauver les maisons, les habitations ».
Les moyens sont très limités, voire dérisoires : « pour éteindre le feu, on avait un fouail, chacun avait sa petite hache à la ceinture, dans le dos, et on coupait un petit pin, c’était un fouail », « avec ce fouail, il fallait se mettre en ligne comme ça, 5 ou 6 », « et taper ». Bien sûr, on connaissait quelques techniques pour tenter de combattre les flammes, « on allumait des contre-feux », mais « ça marche mal », ou plus exactement « ça marche, mais pas de front, sur le côté, pour essayer de rétrécir le front ». Il faut bien se rendre à l’évidence, « on ne pouvait pas tellement, il y a une largeur, le front est long », alors « on allumait sur les côtés, et
puis ça dépendait du vent, d’où il venait, alors, il partait d’un côté, il partait de l’autre ». On avait « des responsables par quartier », ils disaient « tu que has aquo », « tu que has aquo », mais « souvent, ce n’était pas organisé », « on parait au plus pressé ». On a conscience que l’adversaire est largement supérieur : « si vous alliez sur toute la longueur du front, vous étiez sûr de ne pas revenir », et quelquefois, « il fallait se sauver », il était impossible de communiquer d’un côté du front à l’autre, « vous ne pouvez pas faire trente kilomètres en vélo », « pas avec le feu », « il fallait faire le tour, vous aviez des risques aussi ».
Après la guerre, pourtant, on note une amélioration importante : « ce qu’on a eu de suite, c’est les jeeps, avec une chose de 400 litres », « avec ça, on faisait du boulot, déjà ! Tu ne peux pas te figurer le travail qu’on faisait ! », « essaie d’éteindre un feu avec un fouail, et essaie avec un seau d’eau, tu vas gagner avec le seau d’eau ! ». « Il y avait une ou deux jeeps, suivant combien il y avait de chauffeurs aussi, parce qu’il y avait beaucoup de chauffeurs de bétail, mais pour les jeeps ... ». « En ville » à Roquefort, on croit se souvenir qu’il y avait « une citerne, avec une pompe », plus sûrement « une remorque avec une cuve au milieu », mais c’était
« pour les maisons de ville ».
Quand on est au feu, seule « la mémé reste pour faire à manger », et les grands-pères pour veiller sur la maison, mais « ça dépend de la personne ». Alors, « si c’est pas loin, on se retire pour manger », ou bien « quelqu’un vous portait à manger », et même, « le propriétaire quelquefois », mais on en a « connu qui n’ont pas mangé de la journée », et « le soir, s’il y a encore le feu, on ne rentre pas ». A l’arrière, « ceux qui revenaient du feu, ils apportaient quelques messages, quelques nouvelles … à vélo, alors, ça arrivait, mais pas vite », on protège les maisons en les arrosant « si on avait de l’eau », « avec le puits de la maison, à coup de seaux, autour, et on veillait ». « Si tu avais le temps, tu pouvais faire, mais ... », « on n’a pas toujours le temps, si le feu arrive, vous préparez tous les seaux que vous pouvez, on n’a même pas de jet, on n’a rien ; après, on tape tant qu’on peut avec le fouail ». « S’il y a quelque chose à arroser, pour [le] sauver », on arrose. « Il faut veiller la pointe du feu, ça brûle, mais quand vous avez un airial, il n’y a pas beaucoup de … il y a un peu d’herbe, mais ça ne monte pas si haut, ça ne va pas vous passer dessus, à ce moment-là, on tape ou on arrose ». Tout de même, il est bien difficile d’anticiper, quand le feu est à côté, il sera là dans « une demi-heure, ou un quart d’heure », « ça va vite », « ça vous passe le champs en 5 minutes », « ça va aussi vite que si vous courez devant ». Alors, on est un peu fataliste : « il ne peut pas rester des jours et des jours, une fois que c’est brûlé, ça avance, et ce sont les autres qui sont plus en avant qui vont l’avoir, alors les plus valides suivent, et les plus fatigués restent derrière », c’est seulement « quand le feu est passé [qu’]on [peut] recommencer à dormir ».
Et « quand l’incendie est maîtrisé, ce n’est pas pour autant qu’il est éteint, c’est à ce moment-là qu’on organise la garde », « et la nuit aussi, il fallait garder », « il faut veiller », « une équipe garde jusqu’à minuit, et à minuit, ils font la relève jusqu’au lendemain matin », « et quand le soleil se lève, il faut surveiller encore, d’autant plus, le jour », « jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus », ça peut durer « huit jours quelquefois », il faut que la lande arrête de fumer. « Dans les petits feux, il y avait une autre surveillance qui se faisait, il y avait une bonbonne qui arrivait » … Les femmes aussi participaient aux gardes, « les femmes de propriétaires », et
plus largement « celles qui étaient disponibles », c’était en groupe.
Après le feu, quand il n’a rien laissé, ceux qui gemmaient, qui en vivaient, « ils ont émigré », « parce que là, du jour au lendemain, ils n’ont plus de revenus ». A Bourriot, ceux qui ont perdu leur maison ont été relogés un peu plus tard : « je ne sais pas qui a payé, mais ils ont eu des maisons en bois … mais jolies, aussi belles que celles qui ont brûlé ».
En 49, on a vu les premiers GMC(1). Ensuite, les pompiers sont arrivés « à Saint-Justin, Estigarde, Lapeyrade, Gabarret », « à Roquefort, c’est tout récent ». « D’abord, il a été décidé que le problème, c’était l’eau, on manquait d’approvisionnement en eau. Ils ont commencé à faire les fameux châteaux d’eau dans les communes, et le premier usage, c’était pour les pompiers ». « Avant, ils avaient fait quelques puits », « les puits en ciment », « mais ici à Saint-Gor, on avait un maire, Bétuing, pour aider, pour la commune, pour les incendies, il aurait fait n’importe quoi ». « Il s’est fait des pare-feux », on a agrandi ceux qui préexistaient, « les premiers tracteurs étaient arrivés, on débroussaillait », on s’en souvient : « j’avais treize ans, je suivais Paul, pour faire des parefeux à Vialotte en 51 ». A Saint-Gor, le premier tracteur, « c’était un Farmall », et il appartenait à une société de propriétaires (Bétuing, Tastet, les deux Dumême) fondée à l’initiative du maire pour avoir du matériel, avant les SICA(2), ou les CUMA(3).On nettoyait une fois par an, l’hiver, ces chemins sur quelques parcelles, c’était sur plusieurs années, parce que « si on s’était amusé à débroussailler tout le communal tous les ans, ici, il y a 400 ha ... » . Ensuite, c’est un entrepreneur payé, soit par les propriétaires concernés, soit par la commune qui assure l’entretien de ces pare-feux. Un peu plus tard, il y avait aussi, à l’église, à l’intérieur du clocher, une « table d’orientation », que l’on pouvait installer de chaque côté en fonction du besoin en cas d’incendie, « c’était une planche avec des graduations, par rapport au Nord » ; « ça a pu être utilisé, parce qu’il y avait même le téléphone au clocher », pour communiquer avec les autres communes. Cependant, quand il y avait le feu, on continuait à aller à la Mairie pour faire sonner, et à l’église « avant de monter, le Père Mora, cling, cling, il sonnait en bas ».
Le feu parti, l’appréhension reste : « un matin, j’entendais Vielle-Soubiran sonner le tocsin, j’entendais Saint-Justin, j’entendais Saint-Martin, Saint-Gor et Roquefort. A cinq heures, cinq heures et quart le matin », « et ça, à l’époque, ça vous faisait un froid dessus... ».
(1) Général Motors Company
(2) Société d’Intérêts Collectifs Agricoles
(3) Coopérative d’Utilisation du Matériel Agricole
Merci encore à Clémence NADEAU, Alain BERNADET, André LAFFITTE et Marcel ESCOUBET pour leurs précieux témoignages.